Réforme du lycée : encore une fois, l’intérêt des élèves est méprisé
Avec la nouvelle réforme qui s’annonce, c’en est fini des lycées de
secteur et des belles promesses d’un tronc commun à moduler selon les
souhaits des élèves. L’heure est au lycée de spécialisation, au choix
fermé et aux économies. Et tant pis pour ceux qui habitent trop loin !
J’avais une idée d’article pour cette quinzaine. Ou plutôt un ami
m’avait soufflé une idée, légère, potentiellement drôle, un peu acide
mais pas trop – disons acidulée. Je l’avais remercié, j’étais ravie,
j’avais commencé à prendre des notes, à y réfléchir, comme d’habitude.
Je n’ai pas pu. Je n’ai pas pu l’écrire. Je voulais, j’en avais même besoin, mais je n’ai pas pu.
La gouvernance de l’Education nationale est à vomir. Ils ont tenté de
nous amadouer au tout début de leur mandat, en nous jetant deux ou
trois os à ronger, tiens, une petite heure de latin, tiens, un petit CP
dédoublé, mange ça et tais-toi.
Lune de fiel
La lune de miel – ou de fiel, comme le disait un cinéaste brillant
mais controversé – est terminée. Déjà les heures de latin ou autre,
elles ne sont pas respectées. Non, la loi n’est pas respectée. Dans
l’Education nationale (la Fonction publique ?) la loi est bafouée,
foulée aux pieds. Et les principaux qui la bafouent sont félicités par
leur hiérarchie. Dans les rectorats et les inspections académiques,
l’intérêt des élèves n’a, en fait, pas le moindre intérêt, c’est le
règne des hauts administratifs que seule leur carrière intéresse et qui
sont prêts à toutes les compromissions pour grimper les échelons. Leur
maître mot : rentabilité.
Le loup est sorti du bois, tranquillement, presque fièrement : la réforme du lycée.
Je n’ai pas d’enfant lycéen, mes enfants sont plus jeunes. Je n’ai
pas enseigné au lycée depuis fort longtemps et ne suis nullement
spécialiste en la matière. Mais là, quand même, il faut arrêter de
prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages.
Je vous la fais brève.
Dorénavant, quand votre bien-aimée progéniture arrivera en fin de
troisième, elle n’aura plus de lycée de secteur, mais un lycée de
spécialisation. Chaque lycée sera organisé autour d’une thématique,
celui-ci plutôt sciences, celui-ci plutôt littéraire, celui-ci plutôt
économie ou langues… Oui, parce qu’il y a quelques mois on nous a promis
la fin de la filière d’excellence, la sacro-sainte S, au profit d’un
tronc commun auquel chaque élève pourrait greffer les spécialités qu’il
souhaite. Il y a encore quinze jours, je vous écrivais que cela semblait
superbe – je me doutais, déjà que tout ne serait pas rose au pays des
lapins bleus. L’expérience, hélas.
Quinze jours.
Depuis nous avons appris que non, en fait, c’est trop compliqué, et
puis surtout trop cher ! Donner la possibilité aux élèves d’accéder à de
nombreuses options dans leur lycée de secteur, quelle dépense inutile,
Bruxelles et le président s’en étrangleraient.
Mutualiser et diviser
Donc, il faut mutualiser. Dans tel lycée, les options scientifiques.
Dans tel autre, les options de langue, etc. Quand j’ai exposé cela
dimanche dernier au père de mes enfants, il a levé les yeux de son café
et a répondu que pourquoi après tout, c’était plutôt une bonne idée,
non ?
Nous sommes passés à deux doigts d’une nouvelle famille à recomposer.
Parce que, oui, le père de mes enfants ne voyait pas le problème.
Nous vivons certes en province (personne n’est parfait), mais dans une
assez grande ville. Il y a plusieurs lycées. Donc si notre aînée,
Constance-Bernadette, décide de faire des études scientifiques, elle ira
dans le lycée à quinze minutes à pied. Si elle décide de faire des
études littéraires, elle prendre le bus de ville. Pareil si elle décide
de faire un lycée technique, ou des études plutôt économiques. Bref, ma
chérie d’amour restera maximum à trente minutes de la maison, pas bien
grave.
Hop ! deux postes en moins ! Hop ! des sous en plus !
Par contre, si votre enfant, à vous, vit dans une ville moyenne ou,
pire, à la campagne (mon Dieu quelle horreur, la campagne !) il n’aura
pas le choix, du tout. Il aura un lycée, votre actuel lycée de secteur,
auquel on aura enlevé une majorité des enseignants de lettres, ou de
langues, ou de sciences, et c’est tout ! Votre enfant est littéraire et
se retrouve avec un lycée scientifique ? Pas de chance. Mais les trajets
en bus en rase campagne à 5 heures du matin, cela forge la jeunesse.
Vous n’avez pas de bus ? Tant pis ! Ah ! si, le Ministère propose une
solution, le Cned ! L’enseignement à distance ! Votre enfant ne pourra
pas prétendre ne pas avoir accès à telle ou telle option, on lui
balancera des polycopiés dans votre boîte aux lettres.
Le but ? Réfléchissez un peu… Vous aviez trois lycées… avec trois
professeurs de latin (oui, je choisis mes exemples comme je l’entends).
Des professeurs qui ont encore des élèves, pas forcément quarante-cinq,
mais des élèves, motivés, intéressés, dont les parents payent des impôts
et auxquels on a promis une égalité d’offre éducative. Bref, avec cette
réforme, le rectorat décrète (d’après quels critères ?) qu’un seul de
ces trois lycées proposera dorénavant du latin. Aux élèves de venir, ou
non. Et qu’advient-il aux deux autres lycées ? Leurs enseignants
disparaissent. Hop ! deux postes en moins ! Hop ! des sous en plus !
Bruxelles et le président applaudissent ! Idem pour les professeurs de
philosophie, d’économie, de sciences de la vie et de la terre, et j’en
passe. Quelle aubaine. Le résultat ne s’est pas fait attendre : le
ministre annonce mille huit cents suppressions de postes uniquement pour
2019 (je suppose que, comme le veut désormais la tradition, le pire
reste à venir).
L’intérêt des élèves ? Méprisé totalement.
Mais soyons honnêtes, vous et moi, nous nous en moquons un peu, non ? Vous lisez un blog sur Télérama, il
y a donc des chances pour que vous soyez soit parisien, soit comme moi
habitant d’une grande ville offrant théâtres, cinémas, musées… et donc
plusieurs lycées ! Donc vos enfants, comme les miens, et comme ceux des
gouvernants qui ne passent le périphérique parisien qu’en période de
campagne électorale ne seront pas concernés par cette baisse de l’offre
éducative. Nos enfants sont sauvés : au pire ils prendront le bus ou le
métro.
Latin et grec, hors circuit
Les enfants des autres, quel intérêt ?
Je pourrais aussi vous parler du rapport sur les langues vivantes,
qui stipule que les élèves doivent pratiquer l’oral… alors qu’ils sont
plus de trente par classe, ou du latin et du grec, qui disparaissent des
épreuves officielles du baccalauréat – c’est gentil pour ceux qui en
ont fait six ans et qui espéraient être récompensés de leur engagement
par quelques points supplémentaires et non négligeables.
J’avais voté pour eux. Non par conviction, entendons-nous bien, mais
par élimination. Une de mes amies a milité pour eux, pour la première
fois de sa vie. Je vous laisse imaginer son désarroi. Non, inutile de
m’écrire « Ah ! vous voyez ! Vous auriez dû voter pour Pierre, Paul ou
Jacques ! » Non, je ne regrette même pas de ne pas avoir voté pour les
autres. Et je suis déjà dans l’angoisse de savoir pour qui je voterai
ensuite. Et surtout de savoir pour qui vont voter tous ceux qui
constateront, furieux, que l’enseignement de leurs enfants est méprisé
par ce gouvernement.
Je vous prie d’excuser le ton une fois de plus fort aigri de cet
article. Mais même lorsque je désire écrire un article léger, les
déplorables orientations gouvernementales sont là pour briser toute
étincelle d’enthousiasme qui pourrait encore résider dans l’exercice de
ce métier.
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